L’appel du Quetzal - Partie 1
Il y a des pays qui vous habitent avant même que vous ne connaissiez leur emplacement sur une carte.
Cela fut mon expérience avec la découverte du Guatemala. En Décembre 2019, je suis chez moi à Londres. J’habite un petit appartement dans Notting Hill. Je fréquente un homme, G. Il vient de partir de chez moi, pour un instant je m’allonge sur mon canapé. Les yeux se ferment, je pars. En quelques secondes, mes paupières closes se remplissent de couleurs magiques. Une forme passe devant mon oeil intérieur. Je ne la reconnais d’abord pas. Puis un nouveau passage, un oiseau aux plumes couleurs arc-en-ciel. Il se transforme. d’abord en serpent à plume, puis en dragon. Il forme un cercle dans mon ciel interne, me regarde. Puis la vision disparait.
Je sursaute. Je n’ai pas pris de psychotrope. Ceci est ma première vision, j’en ai tout le corps en éveil. J’informe une amie proche de ce que je viens de voir. Elle me demande: un phoenix? Non, quelque chose jamais vu encore. “Ah! Et Quetzalcoatl, cela te dit quelque chose ?”.
Je regarde sur internet, je trouve une image, frappante de ressemblance avec la figure mythologique de ma vision. Je lis quelques lignes, le corps parcouru de frissons. Quetzalcoatl, divinité à l’origine de la création de toutes choses, est une rencontre entre l’oiseau emblématique du Guatemala, le Quetzal, et le serpent. Je cherche une photo de Quetzal. Cela correspond bien à l’image de mon rêve. Puis l’évidence. “je dois m’y rendre”. Où ? Au Guatemala pardi!
Depuis quelques mois déjà de nombreux signes m’indiquent que je dois me préparer à partir en voyage. Depuis la disparition de mon parrain au mois d’Octobre, le monde de l’invisible s’est ouvert à moi, et la communication subtile se fait de plus en plus présente. D’où ces “messages” qui me parviennent depuis l’autre côté du miroir. “Prépare toi”, “débarrasse toi de tes affaires”, “fais le vide”… J’y arrive, petit à petit, à me fier au mystère, à suivre la voix qui me guide.
Autre aspect du mystère qui comporte un signe indéniable que mon départ est le bon choix: fin Novembre, je décide sur une envie subite de me faire faire un tatouage. Il aura le dessin d’un ouroboros, soit d’un serpent qui se mord la queue. Et à l’intérieur, un 8 allongé, le signe de l’infini. Bien que les significations abondent sur internet, je suis incapable de définir ce que ce symbole représente pour moi, d’autant plus qu’à l’époque, je suis encore hautement phobique aux serpents. Ils me paralysent.
Et pourtant en une fin de journée de pleine lune, je décide d’apposer ce signe sur ma nuque, à la base du crâne. Et par la même occasion, quatre mots viennent embellir l’intérieur de mes poignets. A gauche: love, create. à droite: be, surrender.
C’est donc une surprise énorme lorsque en recherchant le sens que porte la divinité Quetzalcoatl, je la découvre représentée sur les murs du temple de Teotihuacan au Mexique, par le même symbole que celui dorénavant tatoué sur ma nuque. Le même temple que j’ai visité à mes 12ans avec mes parents, et qui avait déjà été le cadre d’une expérience mystique. A l’époque, j’avais été convaincue d’entendre un air de flûte accompagner notre visite. Alors que mes parents, eux, n’avaient pas entendu le moindre son.
Ce n’est pas faute d’avoir tenté de vivre une vie plutôt traditionnelle jusque là. J’ai fait des études de commerce dans des écoles de prestige en Italie, en France et aux Etats Unis, des premiers emplois formateurs en entreprises du CAC 40 à Paris et à Londres, et suis finalement recrutée comme responsable de la communication au sein d’une entreprise florissante de la haute horlogerie basée en Suisse. A l’orée de la trentaine, je suis sur le point de me marier, et de cocher toutes “mes cases”. Or elle ne sont pas réellement “mes cases”.
Il faut une première décision drastique pour enclencher le grand bouleversement des choses. Je quite le monde corporate alors qu’on me propose un poste de bras droit du PDG US de notre marque, pour rejoindre une amie dans la création d’une start-up, que nous développons ensemble pendant 2 ans. L’intégration de notre boîte dans un accélérateur anglais m’impose une relocalisation à Londres. Cette prise de recul géographique par rapport à notre vie de couple en Suisse me donne à voir tous les aspects de ma personne que je mets entre parenthèse depuis longtemps. Je fais du théâtre d’improvisation, donne enfin corps à des émotions enfouies depuis longtemps. Cela me bouleverse. J’ai le sentiment de vivre à nouveau. Je dors peu car nous travaillons énormément, je me suis remise cependant à sortir et à voir des amis de longue date et ma vie semble à nouveau prendre une certaine saveur. C’est à l’issue d’un cours de théâtre qu’une brisure s’opère en moi. Alors que je rentre accompagnée d’une amie qui participe aussi à ces cours, nous appelons toutes les deux nos partenaires respectifs pour leur partager notre joie. Son compagnon s’enthousiasme sincèrement pour elle. Le mien ne comprends pas. Il passe à autre chose. Il y a soudain un vide, un sentiment de ne plus pouvoir supporter de ne pas être appréciée dans ma pleine palette émotionnelle. A vrai dire, il y a très peu de place pour cela. Je garde la plus part des choses qui me touchent pour moi. Et lorsque je les partage, toujours je les masque de leur pleine puissance. Ne sachant jamais comment je vais être reçue. Pourtant je vibre si fort. Toute la vie me stimule, je perçois les choses de manière si intense.
C’est ainsi que la trame commence à se découdre. Il y a un souffle d’envie de quelque chose d’autre qui m'effleure et m’effraie à la fois. Je n’ose pas me le dire, lui avouer non plus. C’est que depuis 1 mois, nous sommes fiancés. Alors j’envisage à peine l’idée de voir ma structure de vie voler en éclat. Cela impliquerait trop de choses. Je pense à nos familles respectives, amies depuis toujours. Je pense à celui que j’aime, qui reste un extraordinaire compagnon de voyage en dépit de cet éloignement que je perçois à présent qu’un renouveau s’opère en moi. C’est dans le silence de mon propre coeur que la partie se joue. J’ose à peine en parler à quoique ce soit. De peur que cela se sache, que quelqu’un comprenne ce que moi même je refuse de me dire. Alors je tiens, comme un bon petit soldat. Je ne me prépare pas à l’idée d’un mariage, je me prépare à une guerre. Comme si je devais mener un combat de chaque minute pour me maintenir à bord de cette barque. Même si elle coule, même si elle m’entraine vers le fond. Rester coûte que coûte… Pour quoi ? Pour qui ? Je ne le sais que confusément à l’époque. Par peur, principalement. Et puis pour toutes les personnes que je refuse de décevoir. Je préfère m’abandonner moi même. Cela me fait moins peur dans l’immédiat. J’y suis habituée, sans doute, de me faire passer en dernier. C’est une douleur que je connais par coeur.
Enfin, le coup final. J’ai pris la liberté de m’octroyer un weekend pour aller voir ma meilleure amie de l’époque à Paris en laissant mon compagnon assister à une course automobile à laquelle il participe, seul. En allant à Paris, je sais que je prends un risque. Il s’y trouve à ce moment là une personne pour qui depuis plusieurs années j’éprouve un sentiment ambigu. Amour de vacances au tout début de ma vingtaine, il reste de ces jeunes rencontres un parfum de mer l’été. Alors lorsqu’il m’invite à le rejoindre pour un diner, je sais qu’une partie importante est entrain de se jouer. Nous dinons ensemble, le sujet de mon couple n’intervenant jamais dans notre conversation. Il faut dire que lui même fut en couple avec une de mes copines pendant plusieurs années, et que sans ce que laisse présager son compte instagram, je ne suis pas supposée savoir qu’il n’est plus en couple. Donc cela me protège d’une certaine façon. de partir du principe que nous sommes en couple, l’un et l’autre. Bien que cela n’empêche nullement mon acceptation de continuer la soirée à prendre un verre, puis un troisième, puis dix. L’heure avance dans la nuit et nous virevoltons d’un endroit fougueux à un autre, la musique nous entrainant avec toujours un éclat de rire à la bouche, une simplicité dans l’échange, le sentiment de vivre, de toucher à quelque chose de juste, de bon, d’onctueux. La piste de dance m’arrache des sourires tels que je ne les ai plus offert depuis longtemps. Et enfin, vers 6h du matin, nous abandonnons la partie, et rentrons prendre un dernier verre ensemble dans son appartement du 18e. C’est alors que la question se pose. “Et toi, alors dans ton couple?”. Je suis celle qui brise la glace avec cette question, peut être car je pressens que la vérité à besoin d’être dite. Il me répond que sa rupture date du mois de Décembre, qu’il n’a pas su dire “veux tu m’épouser” à sa copine, que cela n’était pas recevable. Et qu’ils ont rompu. Et à la question de me revenir en boomerang: “et toi?”
J’étouffe. Pourtant, le silence se fait en moi. Je regarde ma main gauche, celle où je porte l’anneau offert lors de la demande. Il n’est pas à sa place habituelle. Par peur de le perdre, j’ai du le mettre sur le majeur, l’annulaire étant trop fin pour le tenir. Ironique. Pas le doigt qui dit “oui”, celui qui dit “merd..”. Je le tourne entre les doigts de ma main droite, l’enlève, puis le repositionne sur le “bon” doigt, celui où il aurait dû être. Puis je regarde cet ami - car il sera cela au final - assis en face de moi, et je lui montre le dos de ma main gauche. Et à sa question de “et toi"?” je lui réponds: “Moi, la question s’est posée. Et j’ai dit oui". Silence. “Et cela ne me rend pas très heureuse".
Un monde lâche en moi. C’est terrible ce qui se passe en cet instant là, autant que cela me libère. Un barrage d’émotions vient de lâcher. Il m’innonde. Le fleuve, qui s’était figé, vient de se remettre à couler librement.
Il me regarde, sans trop savoir quoi dire. Pour moi les minutes passent sans que je ne sache non plus comment revenir en arrière. La barque fuit avec le courant. Je la laisse faire.
Il me dit enfin: “Léa, je suis désolé. Je ne veux pas t’amener à parler de ces choses là si tu n’y es pas prête”.
Je souris intérieurement. Il n’y est pour rien. C’est moi qui me suis amenée ici toute seule, en ce lieu, sur ce canapé, dans cette ville, où enfin je m’octroie le droit de me débarrasser de toutes contraintes. Et je respire. Vraiment. Peut être pour la première fois depuis… Je ne sais plus. Je sais simplement qu’en cet instant là, il n’y a plus de doute en moi. Et que tout peut partir, je suis sûre.
Je n’ai pas lâché prise, j’ai tenu coûte que coûte. Même quand la route fut infiniment difficile, les décisions infiniment douloureuses à prendre. La famille de mon ex prenant fait et cause pour lui, décida de ne plus me parler très rapidement. Lui même, très noble dans le courage de son acceptation de départ, reviendra à la charge plusieurs fois. Avant finalement de retrouver sur sa route une personne qui depuis, a su lui procurer tout ce qu’il espérait pouvoir partager avec quelqu’un. C’est en tout cas ce que je lui souhaite.
J’eu beaucoup de mal à faire le deuil de cette histoire. Il me fallut un long temps afin d’évacuer tous les aspects de notre vie ensemble. Pas tant les aspects matériels, physiques. Ceux là finalement je les laisser tous partir assez rapidement. Ce fut les espoirs fondés ensemble qui eurent la peau la plus dure. Sans finalement que je m’en rendre compte au prime abord, il existait bel et bien au fond de moi des plans qui avaient continuer leur existence, attendant encore qu’on les mette en oeuvre. Comme celui d’avoir un enfant ensemble. La réalisation que cela n’aurait pas lieu me percuterait bien plus tard, lors d’un stage pour passer mon professorat de yoga au Guatemala. Il suffirait d’une photo de sa petite fille sur son profil WhatsApp alors que je m’apprêtais à lui souhaiter son anniversaire, pour me rappeler que nos vies avaient totalement cessé d’évoluer ensemble.
Il faut donc du temps pour guérir, et la guérison ne peut réellement être totale que lorsqu’on cesse de se définir par ce qu’on a pu vivre avec quelqu’un. Voici ces lignes qui sortent une dernière fois de ma plume, comme pour dire au revoir définitivement. Le reste de ma vie m’appartient.
Pour renaître, il faut accepter de mourir. C’est cela qui se passe à ce moment là. Je me dissous. Je me revois encore le matin de cette vérité avouée, prendre le taxi qui me raccompagne chez mon amie où j’étais censée revenir passer la nuit… plusieurs heures plus tôt. Sa curiosité est légitime. Je n’ai pas beaucoup de réponses à lui donner. Je lui dis simplement: J’ai pris conscience que je ne pouvais pas me marier. “Ah. Et tu vas faire quoi alors?” “Je ne sais pas, je vais voir.”
C’est dans le train de retour vers Londres quelques heures plus tard, que j’aurai cette pensée: la seule raison pour laquelle je remettrais à plus tard la décision de rompre, serait par manque de courage. Et je me dois mieux à moi-même, et je lui dois mieux à lui aussi.
24h plus tard, le vol Swissair me ramènerait là où j’aurai à défaire les 7 années précédentes de ma vie.
J’aurai alors un élan neuf. Plein de choses commenceront à ré-entrer dans ma vie, l’envie de jouer, de jouir de l’existence, le sentiment enfin, d’être prête à me choisir, d’aller au bout de cette aventure avec moi même. Encore fallait il découvrir qui j’étais à l’intérieur. C’est cela qui démarre en ce moment pivot de ma vie: le progressif démantèlement de tout le personnage que je me suis construit depuis mon adolescence, par peur de souffrir, par peur de ne pas être à ma place dans le monde. Vide, c’est cela que je m’apprête à devenir. Or je n’en ai pas la moindre idée, à l’époque.
Ce qui me rattrape en tout premier lieu, c’est l’épuisement physique. Nous travaillons toujours très dur pour faire fonctionner notre start up. Et malgré des partenariats forts, dont un avec easy-jet et un autre avec Expedia (notre outil est une plateforme de recommandation de contenu utilisateur pour le voyage), nous voyons toutes deux que les jours de la boîte sont comptés. Alors progressivement, nous décidons de la dissoudre. Et alors que tout vole en éclat, notre boîte, ma familiale ( mes parents ne se remettent pas de notre séparation), je me fracasse. Au bout de 9 mois de fins et de morts systémiques de tout ce que j’ai pu bâtir jusque là, il ne reste plus rien. Je suis seule dans mon appartement de Londres au milieu de cartons qui vont finir en dépôt, j’admet ne plus rien savoir.
C’est là, que l’envie, la vraie, la bonne, de repartir, de tracer ma route, va survenir. Et elle se présente sous la forme d’un premier voyage: Le Nicaragua. Je n’en ai pas réellement le pourquoi. Je fais simplement confiance, l’envie s’impose. En janvier, je partirai au Nicaragua. Et c’est effectivement cela qui se passe.
C’est sur la plage de Popoyo, que l’envol arrive. Que je découvre. Que je suis en vie. Heureuse de l’être. Qu’il me reste une myriade de choses à vivre. Que je n’ai pas besoin de tout savoir de la route qu’il me reste à parcourir, simplement qu’elle est imprévisible, et que demain est un nouveau jour. Et que je ne lui dois rien. Et qu’on est libre, lui et moi, de se définir.
Alors ma vie commence.